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Elijange - des mots....
24 décembre 2014

Le fleuve sous la neige - Chapitre IX

Source: Externe

Je n’eus rien à faire pour que les choses bougent, le changement vint tout seul à moi. J’étais dans le parc en bas de chez moi, un dimanche après-midi. Nicolas était de garde à l’hôpital et Anastasia était sortie avec des amis. Je surveillais Sergueï qui jouait dans le sable et Volodia qui dormait dans son landau quand soudain je le vis, mon cœur se mit à battre très fort, je doutais un instant que ce fut lui. Il tourna son regard vers moi, ouvrit de grands yeux étonnés. Dans un même élan, nous nous dirigeâmes l’un vers l’autre.

« Tatiana ! »

« Anton ! »

Nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre, éblouis de nous retrouver.

« Comment est-ce possible ? » articulais-je, « Qu’est-ce que tu fais ici ? Ça fait longtemps que tu es au Canada ? »

« Doucement, une question à la fois, je suis au Canada depuis deux ans et toi ? »

« Cela fera un an le mois prochain, tu vas bien ? »

« Oui, aussi bien que peut aller un exilé, enfin ça va, je travaille et je suis mieux ici que si j’étais resté en Russie. »

« Tu as été porté disparu si ma mémoire est exacte ? »

« Oui, il parait, enfin moi je ne l’ai su qu’après, en fait notre régiment a été pris dans une offensive et il s’est dispersé, les trois quarts des hommes sont morts, moi j’ai déserté, au bénéfice du doute, on m’a porté disparu. »

« Si tu savais comme je suis contente de te voir. »

« Moi aussi, ils sont à toi ? » questionna-t-il en désignant Sergueï et Volodia.

« Non, seulement le plus grand des deux, Sergueï bientôt deux ans, Volodia est le fils d’Anastasia mais je suis enceinte de trois mois et demi. »

« Qui as-tu épousé ? Un canadien ? »

« Non, Nicolas Jdanoff, je crois que tu le connaissais. »

« Le médecin ? »

« Oui, nous nous sommes mariés à Paris en 1919, mes parents sont à Paris avec Sergueï, Irina et leurs deux enfants Fiodor et Liouba et toi comment vont Sonia et Boris ? »

Son regard s’est assombri d’un seul coup.

« Je ne sais pas, j’ai essayé de les faire venir en 1920 mais mes lettres sont restées sans réponse. L’ambassade m’a dit que désormais personne ne pouvait sortir sans autorisation de Russie, tu vois Tatiana, je ne reverrais sans doute jamais ma femme et mon fils. »

« Je suis désolée. »

« Tu n’y es pour rien, c’est la malchance. »

Il a esquissé un petit sourire triste et nous avons poursuivi notre conversation. Il avait à peine changé, ses cheveux blonds brillaient dans le soleil et je me disais que cette rencontre voulait dire quelque chose, qu’un tel hasard n’était pas possible s’il n’avait pas une raison d’être. Je lui expliquais mes études, ma vie. Il m’écoutait d’un air grave et attentif. J’avais conscience de jouer un drôle de jeu mais j’avais envie de le jouer, de mettre du piment dans ma vie trop sage. Sergueï aurait dit que j’avais toujours été trop sage, il aurait eu raison.

Ce soir-là, quand Nicolas est rentré, je me sentais coupable sans trop savoir de quoi et sans raison valable. C’était à la fois une sensation dérangeante et excitante. Cela me plaisait même si j’avais bien conscience que ce n’était pas très moral.

 

Nous ne nous sommes pas revus tout de suite, nous ne nous étions pas donné rendez-vous mais nous avions échangés nos adresses. J’hésitais, pas très sure tout de même de vouloir mettre en péril mon union avec Nicolas. Alors sans doute pour essayer d’y voir un peu plus clair, je me décidais à répondre à la lettre de mon frère.

 

« Cher Sergueï,

 

20 mai 1922

 

J’ai mis du temps à répondre à ta lettre et j’espère que tu ne me le reprocheras pas. C’est que tu as réveillé tant de choses que je croyais mortes et oubliées à jamais. Des événements, des sensations, des sentiments qui ne sont qu’à toi et moi. J’aimerais que tu viennes au Canada bien sûr mais si Irina ne le souhaite pas, ne la force pas.

Ici, tout va bien, j’attends comme tu le sais mon second enfant. Seulement voilà, j’ai croisé Anton il y a deux semaines, il est seul, Sonia et leur fils sont restés en Russie et je ne sais plus trop ce que je dois faire.

J’ai besoin de tes conseils, ma vie me semble partir dans tous les sens, j’ai besoin de toi, pourquoi es-tu si loin ? Oh Sergueï, de par-delà l’océan, j’espère que nos cœurs peuvent communiquer et te porter tout cet amour que j’ai pour toi, mon grand frère adoré. Ne m’en veut pas si je divague un peu.

Embrasse tout le monde pour moi.

Je t’embrasse fort.

Ta Nina. »

 

Ce que je lui disais était vrai, j’étais perdue, je ne savais plus. C’est le destin qui de nouveau a décidé pour moi.

 

Anton est venu me chercher un après-midi à l’université et peu de temps après nous étions étendus dans son lit, la passion qui nous avait uni autrefois était revenue intacte après tant d’années. Curieusement, je me sentais bien dans ses bras mais dès que je fus sortie de son appartement, la culpabilité revint. J’eus du mal à regarder Nicolas en face ce soir-là et je me couchais tôt prétextant la fatigue due à ma grossesse. Anastasia me regardait d’un drôle d’air, elle semblait se douter de quelque chose.

Les semaines qui suivirent furent folles, j’inventais sans cesse des prétextes pour retrouver Anton. Nicolas ne voyait rien, occupé par son travail, ses gardes. Quand il rentrait, il était si content de retrouver sa famille qu’il ne voyait pas mon air coupable et mes regards fuyants. Anastasia à qui j’avais tout avoué désapprouvait totalement, je m’en moquais, j’étais libre et elle n’avait pas à me donner de leçons.

D’ailleurs, elle finit par se désintéresser de mes infidélités, elle était amoureuse, un garçon rencontré à l’université, un canadien élevé au sirop d’érable, un jeune homme de son âge, grand et bien bâti, étudiant en gestion. Il vint très vite à la maison faire la connaissance de Volodia. Je le trouvais tout de suite sympathique et il semblait littéralement fou amoureux de ma petite sœur si jolie et si blonde. Volodia l’accepta immédiatement et cela était bon signe. Ils parlaient déjà mariage et j’essayais de tempérer les choses disant que c’était aller un peu vite. Ils acquiescèrent acceptant d’attendre un peu.

Le mois de juillet était presque fini quand je reçus enfin la réponse de Sergueï.

 

« Ma chère Nina,

 

15 juillet 1922

 

Ne fais pas de bêtises, Anton ne peut t’apporter que du malheur, c’est ce qu’il a fait autrefois, je te revois pleurant toutes les larmes de ton corps quand il t’a quitté. Je ne veux pas que tu souffres encore une fois. Ce garçon n’a jamais été sérieux et je ne crois pas qu’il puisse le devenir. Éloigne-toi de lui, pense à ton enfant qui va naitre, veux-tu lui offrir une mère adultère ? Tu dois me trouver dur mais c’est l’amour que j’ai pour toi qui me fait réagir ainsi.

Je ne vais pas très bien, tu sais, je n’arrive pas à communiquer avec Irina, nous avons été séparés trop longtemps et puis elle n’a plus rien à voir avec la jeune fille que j’ai épousé, elle a du se débrouiller seule pendant des années, tout cela l’a changé et puis j’ai changé aussi ou plutôt je n’ai plus envie de me forcer, alors je ne me forcerais pas à aimer Irina alors que je n’ai plus pour elle que de la tendresse. Je ne veux plus me tromper de route, la vie est trop courte pour se permettre de faire des erreurs.

Fiodor m’a bien accepté et nous sommes devenus très complices mais Liouba m’évite, reste accrochée dans les jupes de sa mère comme si je lui faisais peur. Je ne sais pas comment l’apprivoiser. Est-ce que je suis si effrayant ? Je ne le crois pas.

J’ai été à l’ambassade du Canada sans le dire à personne et je me suis renseigné sur les modalités d’immigration, j’ai envie de te rejoindre, tu sais comme moi que séparés nous ne sommes pas « entiers », tu es une moitié de moi et je suis une moitié de toi. Cela ne pourra jamais changé quoi que nous fassions.

Comme tu le disais si bien, nos cœurs communiquent au-delà des océans et nous sommes toujours en contact, alors renonce à Anton.

Ton frère qui t’aime.

Sergueï »

 

Je sais bien que sa lettre était de parti pris, j’étais prise entre trois hommes, mon mari qui pensait que son amour n’avait pas besoin d’être prouvé puisqu’il était évident, mon amant qui n’était peut-être pas sérieux mais comment en être sure et mon frère, mon plus vieil amoureux, jaloux et injuste dès qu’un garçon m’approchait comme si je lui appartenais.

Heureusement à partir du mois d’aout, je fus obligée de me reposer et j’oubliais mes tourments sentimentaux, le bébé s’annonçait plus tôt que prévu.

 

Valentine vint au monde le 28 aout 1922, rose et blonde, c’était un petit bébé, bien plus petite que son frère ne l’avait été.

D’un seul coup, je ne fus plus qu’une mère et ma liaison de ces derniers mois avec Anton me parut immonde. Je décidais alors de rompre et je lui écrivis une lettre ne voulant pas le revoir, j’avais trop peur de retomber dans ses bras. Elle était courte et concise mais je ne voulais pas m’étendre, la vie était bien assez compliquée comme cela.

 

Pendant deux mois, je passais mon temps à m’occuper de mes deux petits et de celui d’Anastasia. Sergueï avait bien accepté sa petite sœur même si il était encore bien petit. Valentine était un bébé différent de Sergueï, elle pleurait beaucoup, nous réveillait souvent la nuit, elle était agitée, nerveuse. Je finis par aller voir le pédiatre très inquiète, pourtant selon lui tout allait bien, ma fille était en parfaite santé. Je continuais pourtant à m’inquiéter, elle hurlait certes mais elle ne  tournait pas la tête quand on l’appelait.

Après de nombreux examens auprès de spécialistes, le verdict tomba, Valentine était sourde.

Tout le malheur du monde s’abattit sur ma tête, c’était ma faute, c’était évident, Valentine payait mon adultère avec Anton. Je me retrouvais dans une période de profond désespoir qui dura jusqu’au printemps 1923. Jusqu’à ce que je me rende compte qu’il fallait que je me ressaisisse et que j’aide ma petite Valentine à surmonter son handicap, elle serait sourde certes et sans doute muette mais elle irait à l’école et elle serait heureuse. Au Canada, il existait déjà des écoles spécialisées pour sourds et muets et je pourrais l’y inscrire dès qu’elle aurait six ans. Je me renseignais déjà pour trouver quelqu’un qui pourrait me donner des cours de langue des signes pour que je puisse le lui apprendre et communiquer avec elle. L’été 1923 fut consacré à cet apprentissage. Sergueï apprenait également, il allait avoir trois ans. C’était un beau petit garçon brun aux grands yeux verts. Nicolas apprenait avec moi n’ayant pas le temps de suivre les cours. J’avais terminé ma seconde année de littérature et envisageais la troisième avec appréhension compte tenu du handicap de ma fille mais il fallait que je termine, je ne voulais pas avoir fait tout cela pour rien.

 

Anastasia et Jean-Loup se marièrent le 15 septembre 1923 et mes parents envoyèrent une lettre de félicitations et un cadeau. Pour eux, les choses rentraient dans l’ordre, Anastasia était rentrée dans le rang. Jean-Loup avait terminé ses études et avait trouvé un poste dans une grande société de Montréal.

Ils emménagèrent dans un grand appartement en haut d’une tour du centre-ville avec une grande chambre pour Volodia, fluet petit garçon blond aux yeux bleus de deux ans. Sergueï fut triste de voir partir son cousin mais je lui promis qu’il le verrait souvent.

Anastasia rayonnait de bonheur, elle était plus belle que jamais dans l’éclat de ses vingt et un ans. Moi, j’allais avoir trente ans et Nicolas avait eu quarante ans, cela me faisait un peu peur, ce temps qui passait, qui nous éloignait de l’enfance même si l’enfance était là devant moi avec Sergueï et Valentine, ce n’était pas pareil, mon enfance c’était pour toujours la Neva, Saint Pétersbourg, le golfe de Finlande et mon frère qui écrivait de si longues lettres passionnées et désespérées à la fois, il ne s’adaptait pas à la vie d’époux qu’il avait retrouvé et j’avais envie de l’encourager à venir au Canada mais c’était égoïste alors je ne le faisais pas, pourtant au fond de mon cœur, je savais qu’un matin, il débarquerait.

 

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