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Elijange - des mots....
29 décembre 2014

Le fleuve sous la neige - Chapitre XIV

Source: Externe

L’année 1927 commença par mon divorce. Je me souviens de la salle froide du tribunal presque vide, de Nicolas qui ne me regardait pas et puis finalement tout a été très vite, Nicolas ne voulait pas grand-chose, seulement se séparer de moi et avoir un large droit de visite sur ses enfants. Comme j’étais d’accord le verdict fut rapide.

Sergueï m’attendait à l’extérieur.

« Alors ? » s’écria-t-il.

« Tout va bien, nous sommes divorcés et il veut juste un large droit de visite que j’ai accepté. »

Il m’a souri et nous nous sommes embrassés. La vie était belle, le soleil d’hiver brillait, la neige scintillait, le Saint Laurent était de glace, une petite vie se développait en moi, c’était merveilleux.

A la maison, ce furent mes enfants qui m’assaillirent de questions, ils savaient que j’avais été au tribunal. Serguei voulait savoir si il reverrait son père, je le rassurais, il le verrait quand il le voudrait. Valentine, plus petite cherchait à comprendre ces histoires de grands qu’elle avait du mal à concevoir.

A cette époque, ma fille pratiquait la danse depuis quelques mois, elle n’avait pas cinq ans mais son professeur, une étoile russe, la trouvait très douée, elle était gracieuse, élégante, toujours en rythme, personne n’aurait pu deviner qu’elle était sourde.

Quand à Sergueï, il avait donc sauté une classe et malgré mes appréhensions, tout se passait à merveille et il était toujours le meilleur élève de sa classe. J’étais fière mais j’essayais de ne pas trop insister sur ses résultats scolaires, j’avais peur d’en faire un enfant imbu de lui-même et prétentieux. Je préférais qu’il devienne un petit garçon équilibré et modeste.

 

Mon frère avait quitté son appartement du centre-ville et habitait désormais chez moi avec Fiodor. Cela nous semblait si naturel que nous nous ne voyons pas où pouvait être le problème.

En mars, un dilemme se posa à Fiodor, il faisait du hockey sur glace et était plutôt bon, son entraineur souhaitait le sélectionner pour faire partie de l’équipe junior du Canada mais il était français et devait pour intégrer l’équipe prendre la nationalité canadienne.

Il en parla à toute la famille, il ne savait pas ce qu’il devait faire. Devenir canadien, c’était pour lui changer encore une fois d’identité.

C’est alors qu’il se mit à parler de la Russie, il avait six ans quand nous l’avions quitté et il s’en souvenait bien, lui qui avait encore comme nous, l’accent russe. Il me parla de longues heures d’un Saint Pétersbourg tel qu’il l’avait ressenti avec son cœur de petit garçon. Ce n’était pas tout à fait le même que le mien mais cela lui ressemblait. Je ne m’imaginais pas qu’il avait autant de souvenirs et autant de nostalgie par rapport à la Russie. Il disait que c’était son pays, le seul, que c’était ainsi parce que son âme était russe. Je regardais ce grand garçon blond aux yeux bleus de quinze ans me raconter des choses si profondes que cela m’étonnait. Pourtant, je l’encourageais bien vite à prendre la nationalité canadienne pour avoir une chance de faire ce sport qu’il aimait tant et dans lequel il était si doué. Fiodor mis encore un mois avant de prendre sa décision, il avait peur de se tromper, il disait également qu’il cherchait un moyen de pouvoir, dans sa vie d’adulte, préserver son identité russe. Je l’admirais, bien qu’au fond je fasse la même chose que lui puisque j’enseignais la littérature russe.

 

Sergueï, lui, tout bien considéré, était resté en Russie. Le Canada pour lui était un arrière-pays du sien avec ses étendues neigeuses et ce grand fleuve qui nous narguait.

Il attendait la naissance de notre enfant avec impatience.

J’étais attentive comme jamais je ne l’avais été avec la petite vie qui grandissait en moi. Je guettais les mouvements de ce nouvel enfant comme si chacun de ses coups de pied était un miracle. Peut-être était-ce parce que j’étais plus âgée ou parce que c’était l’enfant de Sergueï ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que j’avais hâte qu’il vienne, d’abord pour apaiser mes craintes de malformations et ensuite parce que j’étais persuadée que je l’aimerais beaucoup. Mon père me mettait en garde, me disant à mots couverts qu’il ne fallait pas que je l’aime plus que mes autres enfants, qu’il fallait que chacun ait sa place comme lui, il avait fait de la place à chacun de ses trois enfants. J’étais d’accord avec lui et à la fois consciente que ce serait difficile parce que cet enfant représentait pour moi quelque chose que ne représentait pas Sergueï et Valentine que j’adorais pourtant. Mon père priait dans le coin des icônes chaque jour et je repensais à ma mère dans son coin rouge chaque soir, je la revoyais ronde et blonde, dans ses vêtements de couleurs, cela me ramenait à la petite fille que j’avais été, cela me rendait un peu triste parce que ma mère n’était plus là pour voir ses petits-enfants et parce que je n’avais jamais pu lui dire au revoir puisqu’elle était morte si loin de moi.

 

En aout, un mois avant mon accouchement, Anastasia vint me voir, cela faisait près d’un an qu’elle n’était pas venue. Jean-Loup était absent pour plusieurs mois, son entreprise l’avait envoyé en mission à l’autre bout du Canada, dans la région de Vancouver. Elle en profitait pour me rendre visite car son mari le lui interdisait, il disait que Sergueï et moi étions deux pervers dangereux et qu’elle avait eu de la chance d’échapper à notre névrose. Je lui demandais ce qu’elle en pensait.  Elle me répondit qu’elle n’était pas d’accord mais qu’elle ne voulait pas briser son couple pour nous. Elle aimait Jean-Loup plus qu’elle ne nous aimait et je la comprenais. Mon père fut ravi de la voir, sa poupée était enfin venue l’embrasser.

Anastasia était toujours aussi belle dans l’éclat de ses vingt-cinq ans, elle avait le ventre presque aussi rond que le mien, elle était enceinte de six mois et accoucherait donc en décembre. Elle espérait avoir une fille. Elle avait amené ses fils, Volodia avait déjà six ans, il avait grandi mais était toujours aussi fluet tandis que son cadet Vassili, deux ans et demi était robuste comme son père. Volodia et Sergueï retrouvèrent tout de suite leur complicité et passèrent leur après-midi à jouer ensemble. Valentine montra ses talents de danseuse à sa tante et quand Anastasia décida qu’il était l’heure de partir, je l’embrassais plus que chaleureusement, l’encourageant à désobéir souvent à son mari pour venir nous voir. J’ajoutais qu’elle m’avait manqué, ce qui était vrai. Elle promit de revenir vite quand mon bébé serait né.

 

Alexeï vint au monde le 12 septembre 1927, jour des sept ans de son frère ainé. C’était un petit garçon brun à la peau mate, adorable. Il devint vite le centre d’intérêt de toute la famille. Sergueï se découvrait une âme de grand frère qu’il n’avait pas eu avec Valentine et cette dernière âgée seulement de cinq ans voulait m’aider à lui donner son bain ou le biberon. Fiodor se proposait de le garder dès que je voulais sortir. Il semblait fou de son nouveau petit frère. Pour l’état civil, Sergueï avait reconnu son fils, nous voulions que les choses soient claires et nettes. Mon père tomba également sous le charme de l’enfant. J’étais heureuse, il était tout à fait normal et même plutôt réussi.

En décembre, Anastasia accoucha à son tour d’une petite Zoïa et elle vint me la présenter en janvier 1928, son mari désapprouvait toujours mais elle avait décidé de passer outre. Elle lui avait expliqué que nous étions sa famille et qu’elle nous verrait quand elle le voudrait mais qu’elle ne le forcerait pas à venir. L’enfant était aussi blonde que ses frères, décidemment Jean-Loup n’arrivait pas à avoir un enfant qui lui ressemble vraiment, c’était ma sœur qui dominait. Elle était fatiguée, trois enfants aussi jeunes, ce n’est pas évident, les miens avaient un peu plus d’écart et puis j’avais de l’aide entre mon père qui le soir surveillait les devoirs de Sergueï et Fiodor qui voulait toujours s’occuper d’Alexeï. Valentine, il suffisait de mettre de la musique pour ne plus l’entendre, elle dansait alors gracieusement semblant sur un nuage, je me disais que nous en ferions peut être une danseuse.

 

Fiodor qui avait eu seize ans en mars, avait opté pour la nationalité canadienne et jouait dans l’équipe junior de hockey sur glace du Canada, le sélectionneur officiel affirmait qu’il avait beaucoup d’avenir. Nous l’encouragions dans cette voie surtout que ses résultats scolaires n’étaient pas brillants, il préférait jouer au hockey, s’occuper d’Alexeï ou courir après les filles plutôt que de faire ses devoirs et d’apprendre ses leçons. Sa mère ne donnait quasiment plus de nouvelle, une lettre tous les quatre à six mois environ, adressée à Fiodor et toujours très courte. Fiodor lui écrivait des pages entières, racontant sa vie, le hockey, les filles et son nouveau petit frère. J’imaginais l’effroi d’Irina quand elle avait appris la naissance d’Alexeï, mon fils et celui de Sergueï. J’essayais de deviner ce qu’elle avait pu ressentir et je me doutais que cela lui avait fait du mal et que c’était pour cela qu’elle écrivait si peu.

 

Liouba envoyait une lettre par mois à son frère et une à son père, je ne les lisais pas, je ne sais pas ce qu’elle y racontait, elle avait treize ans en 1928 et je pense que pour elle, la situation devait être compliquée et par certains côtés incompréhensible. J’espérais revoir un jour cette adorable petite fille brune qui dans mes souvenirs ressemblait à Sergueï.

 

Notre enfant était vite devenu un beau poupon, brun, potelé, les yeux sombres comme ceux de mon frère, éveillés comme l’avait été ses frères et sœurs à cet âge. Nous le contemplions, Sergueï et moi comme un immense cadeau que la vie nous avait fait mais au fond de mon cœur, je me demandais quel serait le prix à payer en retour de l’immense joie qu’était pour nous, Alexeï.

 

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