Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Elijange - des mots....
20 décembre 2014

2095 - Année zéro

Source: Externe

Georges est assis dans son tout petit studio comme on disait autrefois. Il regarde par la fenêtre bien caché par les rideaux jaunis. En bas, le monde grouille un peu, à peine. Cela fait bien des années que Georges ne descend plus, il ne veut pas entrer dans leur monde si différent de celui qu'il a connu. D'ailleurs plus personne ne monte le voir sauf sa fille qui dépose de la nourriture devant sa porte mais n'ose pas entrer sous peine d'être autant une paria que son père.

Tout cela a commencé il y a déjà longtemps. A cette époque le monde ne tournait pas très rond, il y avait cette foutue guerre dans l'est et trois millions de chomeurs dans le pays, la terre tremblait, hoquetait, semblant annoncer une fin du monde qui a bien fini par arriver d'une certaine façon même si personne ne la voyait venir comme cela. A cette époque, les gens cherchaient à croire en quelque chose, Dieu était presque mort, en tous cas en ce qui concernait les concitoyens de Georges et nous n'étions plus que de pauvres enfants perdus dans un monde hostile.

C'est alors que cet homme est arrivé, il parlait fort et sa voix vous pénétrait jusqu'aux tripes. Il voulait changer le monde, il avait des plans et il les exposait. Il parlait d'un monde où tout serait si réglementé que plus aucun écart ne serait possible. Je crois que nous n'attendions que cela, un homme qui prenne en charge nos vies pour que nous n'ayons plus rien  à décider.

A cette époque, j'étais encore jeune, pas encore quarante ans, j'avais une épouse charmante, Caroline et trois enfants, Sébastien, Sarah et la petite Juliette, trois ans à peine. Nous étions heureux, j'avais un bon travail, ma femme élevait nos enfants. C'est surement pour cela que je n'ai pas cru cet homme, ce Cloraec qui faisait de jolis discours et que la foule acclamait. Il me faisait peur en fait, je me disais qu'il était dangereux, je voyais son étrange manège mais j'étais comme anesthésié, incapable de crier aux autres de faire attention, que notre monde allait s'écrouler.

Tout est arrivé très vite, aux élections présidentielles de cette année 95 si lointaine, il a été élu président avec plus de 80 % des suffrages et c'est là que l'enfer à commencer. Cet homme a d'abord fait un grand recensement, puis il nous as fiché et a commencé à régenter nos vies. Il a bien sur redonné un emploi à ceux qui n'en avaient plus mais à quel prix ? Il a envoyé des hommes aux frontières du pays pour empêcher quiconque d'entrer chez nous, il a fait partir tout ceux qui n'avaient pas de racine dans le pays depuis quatre générations et ceux qui ne voulaient pas s'en aller ont été assassinés.

Peu à peu, notre pays s'est recroquevillé sur lui-même, les gens ne semblaient rien voir, ils croyaient en lui, enfin chacun avait un emploi, on ne voyait plus ses sales étrangers dans la rue et l'importation ne venait plus géner nos prix aussi hauts qu'ils puissent être, c'est alors qu'il a supprimé l'assemblée nationale et le sénat et qu'il a réduit son gouvernement à quinze personnes, rien que des fidèles et pourtant la foule continuait à l'acclamer.

Ensuite, il a décrété que tous les enfants à partir de huit ans devaient être retirés à leurs parents et envoyés dans des centres spéciaux afin d'être éduquer à aimer et respecter notre chef suprême, c'est à dire lui même, Cloarec. Je me souviens des cris de Caroline quand deux officiers aux yeux vides sont venus emmener Sébastien et Sarah nous laissant pour deux ans encore notre petite Juliette.

Là encore, personne ne s'est révolté, j'ai essayé de secouer mes amis mais j'ai vite arrêté quand j'ai compris que cela ne servait à rien et que je risquais ma vie.

En effet, un groupe d'intellectuels et d'anciens hommes politiques ont tenté de contester le pouvoir, ils ont tous été condamné à mort et le peuple assemblé a acclamé leur exécution.

Je voyais cette folie monter et je ne pouvais rien faire, c'est horrible d'être impuissant.

 

Il a lancé un nouveau décret le premier aout 98, les enfants dans les centres d'endoctrinement étaient maintenant les siens et ils n'auraient aucun choix, c'était le personnel d'encadrement qui choisirait leur avenir aussi bien au niveau du métier qu'ils exerceraient que de l'homme ou de la femme qu'ils épouseraient. Son anniversaire était devenu la fête nationale, plus d'histoire à l'école pour que les enfants ne sachent pas comment était le monde avant.

J'essayais d'enseigner à Juliette le plus de choses possibles sur avant, je lui ai expliqué tout ce que je pensais de cet homme. Elle était intelligente, elle a compris et quand elle est partie à son tour, j'avais confiance en elle et pour elle.

Caroline n'a pas pu résister à cette ultime séparation. Nous ne reverrions plus nos enfants, nous le savions, alors elle s'est laissée mourir, c'était plus simple pour elle. C'est à ce moment là que je me suis installé ici, une petite chambre vide au dessus d'un magasin de vêtements, à l'époque c'était encore joli en bas, ça ne l'est plus.

Car peu à peu, ils ont tous perdus la mémoire, on a mis les vieux dans des hospices pour faire taire leurs souvenirs.

 

Un matin de printemps, dans les rues de ma petite ville, j'ai croisé un grand garçon et j'ai reconnu mon fils, cela faisait plus de dix ans que je ne l'avais pas vu, depuis le jour où les officiers l'avait emmené mais je l'ai reconnu, je l'ai appelé, il n'a pas semblé m'entendre alors je me suis planté devant lui, il m'a regardé et ses yeux étaient vides, si vides que j'ai eut peur, il ne me reconnaissait pas, il devait ne reconnaitre personne, on aurait dit qu'il était mort à l'intérieur. Pendant deux jours, je n'ai pas pu dormir, pensant à ce regard, puis peu à peu j'ai ouvert les yeux et j'ai vu que de plus en plus de gens avaient ce regard, seuls les individus de mon age semblaient encore en état de penser. Il devait le savoir car il a décidé d'envoyer les adultes à leur tour dans un centre de réeducation. Je me souviens de ce bourrage de crane à chaque instant, j'ai résisté, j'ai pensé tout le temps à la maison de mon enfance, à mes parents, à mon école. Ils m'ont laissé tranquille, je suis retourné dans ma petite chambre décidé à en sortir le moins possible.

 

C'est alors qu'un matin à l'aube, on a frappé doucement à ma porte, j'ai ouvert et j'ai vu ma petite Juliette, les yeux clairs et vifs, je l'ai serré dans mes bras, elle m'a expliqué qu'on l'avait marié et qu'elle avait eut des enfants qu'on lui avait enlevé à trois ans, c'était la nouvelle loi mais qu'elle était forte grace à moi.

Elle est partie très vite de peur qu'on la voit, depuis elle m'apporte un peu de nourriture dès qu'elle le peut car je ne sors plus, j'ai peur. Ils ont l'air de robots en bas. Je sais par Juliette qui me glisse aussi des mots sous ma porte que Cloarec est mort depuis longtemps mais que l'on fait croire aux gens qu'il est toujours vivant comme une sorte d'être surnaturel et immortel. Je sais qu'ils ont presque tous les yeux vides à part l'élite, ceux qui dirigent à la place de Cloarec. Maintenant, on retire les enfants à leur mère dès le sevrage, ils n'ont plus de noms  mais des numéros, ils apprennet à lire et à écrire mais c'est tout, les livres d'autrefois ont été brulés à part ceux de la bibliothèque nationale mais elle est très bien gardée pour éviter que quelqu'un veuille les lire. Les magasins sont fermés, seuls les hommes travaillent mais sans que cela demande une quelconque intelligence, les gens vivent dans une grande communauté, l'état les nourrit, les habille, les loge, les accouple et moi je pleure en tournant les pages d'un album de photos jaunies où me sourit une jolie jeune femme morte à temps pour ne pas vivre cela et trois beaux enfants dont deux sont comme morts.

 

Ce matin de l'année 2130 c'est mon anniversaire, j'ai soixante et un ans et dans le monde d'autrefois je serais surement à la retraite, je fumerais la pipe, je lirais mon journal, je contemplerais ma femme et j'irais pecher avec mes petits enfants. Mais comme plus rien n'existe alors je tente pour la énième fois d'allumer ma vieille radio. je tourne le bouton à l'aveuglette comme toujours et soudain j'entends quelque chose qui semble venir de très loin, je reconnais cette langue, c'est de l'anglais, je capte l'angleterre, j'écoute, l'oreille collée au transistor, ils parlent de leur roi qui s'appelle Georges comme moi et je me souviens vaguement de lui, enfant. Ils parlent du monde et je les écoute avide et je me sens bien.

Le monde semble être quasiment le même que celui que j'ai quitté il y a plus de trente ans  et soudain ils parlent de nous, je voudrais qu'ils disent qu'ils vont venir nous aider mais ils commencent pas des considérations générales, ils disent que notre situation est critique et enfin ils parlent de raids aériens destinés à nous sauver et la communication coupe.

Depuis ce matin, j'attends qu'ils viennent, je veux terminer ma vie ailleurs avec ma petite Juliette, je peux encore la sauver.

Au loin, j'ai crus entendre le doux ronronnement d'un moteur d'avion, j'espère ne pas avoir rêvé. Si c'est le cas, demain peut être je retrouverais le monde d'avant...

Publicité
Publicité
Commentaires
Elijange - des mots....
Publicité
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 10 996
http://astore.amazon.fr/elijange-21
Pages
Elijange - des mots....
Publicité