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Elijange - des mots....
27 décembre 2014

Le fleuve sous la neige - Chapitre XII

Source: Externe

C’est en mars 1925 qu’est arrivée la lettre de notre père qui nous annonçait le décès de notre mère, c’est Anastasia qui l’a reçu, il n’écrivait plus qu’à elle. Notre mère n’avait jamais vraiment récupéré de la grippe qu’elle avait eue à l’automne, celle-ci avait dégénéré en pneumonie et avait causé son décès.

Ce fut un choc pour nous trois, c’était curieux d’imaginer que je ne la reverrais plus jamais, j’étais séparée d’elle depuis plusieurs années mais j’avais toujours l’espoir de la revoir. Maintenant, c’était fini, jamais plus je ne retrouverais ma jolie maman blonde. Des souvenirs d’enfance me revenaient en mémoire, d’une maman plus jeune qui nous racontait le soir de jolies histoires à Sergueï et moi.

Nous avons pleuré dans les bras l’un de l’autre longtemps puis nous nous sommes décidés à écrire à mon père pour lui dire notre peine et notre souhait qu’il vienne vivre au Canada avec nous ainsi qu’Irina et les enfants. Nous avons décidés cela ensemble, Sergueï et moi, nous ne voulions pas qu’il finisse sa vie sans nous à Paris. Nous lui avons réitéré notre amour espérant qu’il nous répondrait au lieu de passer par Anastasia comme d’habitude.

 

Anastasia avait repris son travail début mars, elle mettait le petit Vassili à la crèche et Volodia à l’école. Ses deux fils se ressemblaient beaucoup, personne n’aurait pu deviner qu’ils n’avaient pas le même père. Ma sœur parlait déjà d’un troisième enfant, je la trouvais bien courageuse ou bien inconsciente. Elle m’avait plusieurs fois fait part du fait qu’elle désapprouvait mes rapports avec Sergueï et qu’elle avait peur pour moi. Elle n’avait pourtant aucune raison d’avoir peur. Sergueï et moi ne faisions rien qui justifie ses craintes.

 

Depuis cinq mois, mon frère et moi nous retrouvions régulièrement dans son appartement du centre-ville pour faire l’amour mais pas uniquement, nous aimions également parler de tout et de rien et contempler le paysage superbe du Canada. Notre liaison était facilitée par les absences de Nicolas qui n’avait qu’une maitresse, la médecine. Si Sergueï n’avait pas été là, je crois que j’aurais été malheureuse parce que Nicolas ne s’occupait plus du tout de moi, nous n’avions plus fait l’amour depuis la naissance de Valentine et elle avait deux ans et demi. Il passait parfois quinze heures par jour à l’hôpital, personne ne l’y forçait, il aimait ça plus qu’il ne m’aimait moi. Quand enfin, il était là, il s’occupait de Sergueï et de Valentine, pas de moi.

D’ailleurs, la preuve de son manque d’intérêt pour moi était qu’il ne voyait pas mes rapports ambigus avec Sergueï alors qu’Anastasia avait tout deviné depuis le début. J’avais besoin de Sergueï, c’était dur à expliquer parce que ce n’était pas rationnel mais c’était ainsi et à ce moment-là de ma vie, je pouvais dire qu’il était mon unique amour, qu’Anton et Nicolas ne comptaient plus, j’étais à Sergueï, il était à moi comme quand nous avions dix ans, c’était ainsi.

 

Notre père a répondu à notre lettre au mois de mai sans passer par Anastasia, il nous disait qu’il acceptait notre proposition et qu’il en avait fait part à Irina  mais que cette dernière ne voulait pas venir, elle préférait rester en France avec Liouba, Fiodor âgé de treize ans avait quant à lui décidé de rejoindre son père. Sergueï fut soulagé d’apprendre qu’Irina ne voulait pas venir, il avouait qu’il n’aurait pas su quoi lui dire pour expliquer son départ et qu’il aurait été mal à l’aise face à elle. Par contre, il était heureux d’apprendre l’arrivée de Fiodor, son fils comptait énormément pour lui.

Pourtant les semaines ont encore passées, longues et passionnées avant qu’ils ne débarquent fin juin alors que je venais d’obtenir mon diplôme me permettant enfin d’enseigner la littérature dans une université à la rentrée scolaire suivante.

 

Mon père nous téléphona de la gare de Montréal le 28 juin 1925, c’est une date que je n’oublierais jamais. Nicolas travaillait comme d’habitude. J’étais chez moi avec Sergueï et les petits, les quatre car ma sœur travaillait et Jean-Loup également. Nous avons pris la voiture et  nous sommes allés les chercher. Nous les avons aperçus de loin sur le trottoir devant l’entrée de la gare. Mon père avait vieilli, c’était un petit homme trapu et légèrement vouté, il était encore jeune pourtant, cinquante-quatre ans à peine. A côté de lui se tenait Fiodor, grand adolescent blond vraiment très beau.

Sergueï a arrêté la voiture et je suis descendue en courant. Je me suis jetée dans les bras de mon père et les larmes se sont mises à couler. Je n’aurais pas su dire pourquoi je pleurais alors que c’était un jour heureux. Il m’a serré tendrement contre lui.

« Tatiana » a-t-il chuchoté.

Il m’a regardé et a murmuré.

« Comme tu es belle, ma fille, exactement comme j’imaginais, je suis content d’être ici. Sergueï… »

Il a serré Sergueï à son tour, nous étions tous les deux contre lui, il semblait avoir oublié tout ce qu’il nous reprochait.

Puis Sergueï s’est tourné vers Fiodor, il a pris son fils dans ses bras et l’a serré très fort. Ensuite, j’ai embrassé ce grand adolescent que j’avais quitté petit garçon. Notre complicité est revenue tout de suite.

Après cela, j’ai été jusqu’à la voiture et j’ai fait sortir les enfants prenant Vassili seulement âgé de six mois et demi dans mes bras. Mon père les a serré contre son cœur, chacun leur tour. Il avait à peine eut le temps de faire connaissance avec Volodia et Sergueï et il ne connaissait ni Vassili ni Valentine.

 

Les premières semaines que mon père passa au Canada furent joyeuses. Anastasia qui était en vacances et moi-même l’emmenions par toute la ville pour lui faire visiter les endroits que nous aimions tant. Il jouait avec ses petits enfants qui l’adorèrent rapidement, puis peu à peu il nous ouvrit son cœur, ce qu’il n’avait jamais réellement fait, nous parlant de notre mère et de son chagrin lors de son décès. Il nous parlait d’Irina qui ne voulait pas refaire sa vie et de Liouba qu’il aimait tant. Puis souvent, il se mettait à parler de la Russie, de Saint Pétersbourg, de ses regrets d’avoir dû quitter son pays, il nous parlait de sentiments que nous n’avions pas eu le temps d’avoir parce que nous avions nos vies à construire et l’exil, la nostalgie des exilés lentement nous rattrapait. Il disait tout cela en russe et nous ne nous apercevions plus que nous parlions nous aussi cette langue.

Sergueï qui avait cinq ans tendait l’oreille, il écoutait parler de ce pays qu’il ne connaitrait jamais dans une langue qu’il maitrisait chaque jour un peu plus puisqu’il l’apprenait avec son grand-père.

 

En septembre, je commençais à travailler et Valentine rentra à l’école, une école pour enfants normaux, elle y avait été accepté parce qu’elle était très éveillée. C’était un essai, si ça ne marchait pas, j’étais prête à la mettre dans une école pour enfants sourds dès qu’elle aurait six ans.

Mon père ne voulut pas rester  à la maison sans rien faire, il chercha un emploi et en dégota un chez un petit cordonnier, il renouait ainsi avec le métier qu’il avait exercé en Russie. Le week end, il expliquait à Sergueï et Volodia, attentifs, sa vie de petit garçon pauvre dans une grande ville hostile, je ne connaissais pas cet aspect de son existence et je l’écoutais moi aussi sans en avoir l’air, j’écoutais quand il parlait de son père, du servage qu’on lui avait raconté, c’était parfois étrange de s’imaginer que soixante ans plus tôt, il y avait encore des serfs dans mon pays, que j’étais petite-fille de serf. Tout le chemin parcouru prenait alors une extraordinaire dimension tout comme les deux petits garçons, le brun et le blond suspendus aux lèvres de mon père.

 

Sergueï, quant à lui, avait décidé de s’occuper de son fils. Fiodor était un garçon adorable, jamais il n’a reproché à son père d’avoir quitté sa mère, par contre il parlait d’elle souvent, il aurait bien aimé qu’elle vienne au Canada avec sa sœur mais elle ne voulait vraiment pas. Sergueï et son fils passaient de longues heures ensemble, ils partageaient plusieurs passions comme les chevaux ou le hockey sur glace que Fiodor avait découvert peu après son arrivée et il avait réussi à faire partager son enthousiasme à son père. J’étais contente de cette complicité et malgré elle, je voyais toujours autant Sergueï, peut-être plus puisque mon père était là le soir pour mes enfants. Notre passion ne s’apaisait pas, elle nous dévorait plutôt et mon père s’en était aperçu.

 

Un matin de décembre, au début des congés scolaires de Noël, mon père décréta qu’il voulait me parler seul à seule.

Il est resté un long moment en face de moi sans rien dire, il cherchait, je crois, par où il allait commencer.

« Tatiana » a-t-il fini par dire, « j’aime tous mes enfants, c’est certain, vous êtes différents tous les trois et j’ai cherché à vous comprendre depuis que vous êtes petits. Sergueï était fier, volontaire, têtu, acharné, tu étais plus douce, plus soumise quand à Anastasia, elle était ma petite poupée, toujours gaie et dynamique, j’avoue que j’ai eu de la chance avec vous et aussi beaucoup de satisfactions, tu étais sérieuse, Sergueï avait obtenu son diplôme et Ana était si jolie, pourtant quelque chose m’a toujours tracassé, quelque chose que j’essayais de nier, c’était mignon mon fils et ma fille blottis l’un contre l’autre dans le même lit quand ils avaient cinq ans et huit ans, c’était dérangeant quand ils en avaient neuf et douze et franchement déroutant quand ils en avaient quatorze et dix-sept… Aujourd’hui Tatiana, je voudrais savoir si mes enfants dorment encore ensemble, si c’est pour cela que Sergueï a quitté Irina, si j’ai deviné juste. »

« Si cela était papa, qu’est-ce que tu en penserais ? »

« Que j’ai dû faire une erreur quelque part, que peut être j’aurais dû vous interdire de dormir ensemble quand vous étiez petits, je te dirais qu’il faut que ça cesse, que ce n’est pas une bonne chose et que tu dois penser à ton mari, à tes enfants. »

« Je ne pense qu’à eux, papa, je ne fais que ça et plus je pense à Nicolas, plus pour moi il est évident que j’aime Sergueï. »

« C’est normal que tu l’aimes puisque c’est ton frère. »

« Je ne l’aime pas comme un frère, je l’aime dans l’absolu, je l’aime d’amour, c’est difficile à expliquer surtout à toi mais tu as deviné juste papa, tes enfants dorment ensemble depuis plus d’un an. »

Il m’a regardé gravement, il réfléchissait, il pesait mes mots dans une balance seulement connue de lui.

« Tu sais quand vous étiez adolescents, une fois tu m’as reproché d’aimer Anastasia plus que toi mais ce n’était pas vrai, seulement j’avais du mal à vous parler à ton frère et toi, je disais quelque chose à l’un, c’était l’autre qui répliquait, vous faisiez toujours front ensemble, jamais nous n’avons eu de discussion comme celle-ci, seuls. »

« Je suis heureuse que nous discutions papa, je suis heureuse que tu sois là et que tu sois aussi gentil avec mes enfants. »

« Ils sont si adorables, comment pourrais-je ne pas les aimer ? Je t’aime aussi, Tatiana, quoi que tu fasses. »

« C’est vrai ? Tu m’aimes même si j’aime Sergueï autrement que comme un frère et si je ne suis pas la fille que tu voulais avoir ? »

« Que sais-tu de la fille que je voulais avoir ? Je n’ai jamais projeté mes rêves sur mes enfants ou alors si peu, peut-être dans le diplôme de Sergueï, je prends mes enfants comme ils sont. »

Il m’a souri, il m’a embrassé tendrement.

 

A cet instant, la porte s’est ouverte, c’était mon petit Sergueï suivi de Valentine. Je les ai embrassé tous les deux et j’ai souhaité faire preuve d’autant de sagesse que mon père dans leur éducation. Ce père que je n’avais jamais pris le temps de bien cerner parce que notre éducation avait été stricte et qu’il m’avait toujours semblé lointain même si il était protecteur et chaleureux.

Soudain, il devenait pour moi le dernier rempart, le dernier repère avant de tomber dans le n’importe quoi, je savais qu’il serait toujours là pour moi et que si nous nous perdions en route, mon frère et moi, il ramasserait les morceaux. J’avais confiance, grâce à lui, en un avenir qui s’annonçait tumultueux et incertain.

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