Pour l'amour d'Ali - Livre I Malentendus - Seconde partie : le temps des révélations - Chapitre 2

Dans le beau jardin d’Istanbul tout ensoleillé, Claire se ballade tristement, des tonnes de pensées l’assaillent sans cesse à cause de la lettre qu’elle a reçu de Marie avant-hier où cette dernière lui fait part de son désir de la rencontrer. Claire ne sait pas ce qu’elle doit faire, doit-elle rencontrer Marie ? Où ? Doit-elle aller en France ? De quoi parleront-elles ? Que pourrait-elle bien lui dire ? Mais après tout pourquoi ne pas rencontrer cette femme qu’Ali a aimée et dont il a eu une fille. Pourquoi penser encore à cette enfant ? Quelquefois Claire se dit que la vision d’horreur qu’elle a eu l’autre jour, que cette recrudescence de souvenirs « oubliés » vient sûrement de son imagination, elle ne peut pas l’avoir fait. Cela n’est pas du domaine du possible. Elle n’a pas tué Emeline c’est en tout cas ce dont elle essaye de se persuader mais tous les jours, en regardant Ambroisine, elle a l’impression de revoir la supplique de sa sœur aînée cette nuit-là dans le froid de l’hiver où Claire n’aurait jamais dû se trouver et elle n’arrive pas à s’en débarrasser. Malgré toutes les questions qu’elle se pose, Claire sait qu’elle ira en France parce qu’elle veut rencontrer Marie, rencontrer cette femme qui a eu l’amour d’Ali. Mais elle se demande si elle va dire à Ambroisine, à Omar, à Sélim et à Selma qu’elle se rend en France. Elle pense tout de même en parler à Sélim en qui elle a toute confiance. Quant à la vieille Salomé, elle est presque sure qu’elle sait déjà tout, elle réussit toujours à tout savoir même  ce que l’on veut lui dissimuler, comme elle sait ce qui s’est passé il y a bien longtemps entre  Wou Tchi et Leila et même avant, elle connaît tous les secrets cachés des sultanes depuis Shéhérazade. Elle réussit à savoir des choses qui ne sont pas dites, des choses que Claire elle-même ignore. On dirait que la vieille Salomé arrive  à lire sur les expressions des visages tout ce qui se passe dans la tête de la personne concernée. La vieille Salomé était là depuis tellement longtemps déjà quand Claire est arrivée à Istanbul.

Salomé, huitième femme d’Ahmed, grand-père d’Ali, Salomé qui est arrivée à quinze ans à la cour de Greta qui avait alors une quarantaine d’années. Wou Tchi avait deux ans de plus que Salomé et la vieille Leila avait quatre-vingt-huit ans. On dit que Salomé était très belle, on dit aussi que Wou Tchi a été cruelle avec elle. Ce qui est certain en tout cas, c’est que Salomé a mis au monde trois garçons mort-nés ce qui parait douteux et laisse supposer que Wou Tchi et Greta ne sont pas pour rien dans la mort des trois nourrissons. Quant au bout de sa quatrième grossesse, Salomé accoucha enfin d’une fille, elle fut satisfaite car elle avait enfin un enfant à élever et à aimer et c’est ce qu’elle fit. D’ailleurs après cette naissance, le sultan ne vint plus tellement la voir et on raconte même que Salomé a eu une liaison avec un bel étranger aux yeux bleus, un russe mais cette liaison a été de courte durée et remplie d’obstacle. Alors Salomé à l’aube de la quarantaine a décidé de devenir sage et de s’occuper de sa fille Yasmin, quatrième fille du sultan Ahmed, Yasmin qui n’a jamais voulu quitter le jardin ce qui a toujours attristé la pauvre Salomé qui rêvait d’être un jour grand-mère mais maintenant le rêve de Salomé s’est éteint parce que Yasmin atteint ses quarante ans et elle-même vient d’avoir soixante-trois ans.

L’esprit de Claire continue à vagabonder, elle pense à Selma qui est partie parce qu’elle ne voulait pas épouser celui auquel elle le destinait. C’est pour cela qu’elle a fui qu’elle a écrit à son frère sans le lui dire et qu’alors Omar a ordonné à sa mère de l’envoyer en Angleterre, ce que Claire a fait, elle n’a même pas pensé à lui désobéir même si en réalité il n’y avait aucune raison pour qu’elle se plie à ses ordres.

En fait si elle l’a fait, c’est surtout parce qu’au fond d’elle-même elle savait que Selma serait malheureuse avec ce prince qui bien que riche et beau ne convenait pas à sa Selma, à sa trop belle Selma. Selma dont tout le monde dit qu’elle ressemble à Shéhérazade la trop belle aventurière qui a fondé le palais et peut être aussi à la Shéhérazade des contes des mille et une nuits, la belle Shéhérazade aux longues boucles brunes, au teint mat mais sans les yeux bleus de Selma. Selma sera surement très regardé en Angleterre, elle ne ressemble pas du tout au genre de filles qu’on y voit et elle est tellement belle. Selma, son unique fille et dans son esprit surgit le souvenir d’Emeline, Emeline qui n’était pas sa fille mais celle d’Ali et qui ressemblait à Omar et à Selma, Emeline qu’elle a peut-être tué sauvagement et elle pense à la réaction de Marie si elle le lui disait, réussirait-elle à lui pardonner ? Ambroisine l’aimerait elle encore ? Ambroisine ne l’aimerait surement plus et pire encore elle la détesterait et peut-être même voudrait-elle se venger car bien qu’habituellement elle soit douce, calme et posée lorsque cela concerne Emeline, elle la sent capable de tout. Cela date du jour où elle a lu cet article de journal que Salomé lui a donné sur la mort de sa sœur, elle est alors devenue très proche d’Emeline comme si elle l’avait vraiment connu alors qu’elle était si petite lorsque celle-ci est morte. Elle lui voue maintenant un amour sans faille et Claire sait qu’elle a juré que si un jour elle retrouvait le meurtrier de sa sœur, elle se vengerait de lui parce que dans le cœur d’Ambroisine est né un sentiment nouveau, la haine et que la haine est un sentiment tenace.

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Dans sa chambre couchée sur son lit, Ambroisine réfléchit à tous les secrets qu’elle a découvert en quelques semaines. Ce qui la désespère le plus c’est que Selma ne soit pas là, elle aurait tant de chose à lui raconter. Elle sait désormais pourquoi Claire avait une photo d’Emeline dans son tiroir et Salomé aussi le sait mais avec Salomé il ne faut pas trop insister, ce qu’elle ne veut pas dire, elle ne dit pas. Le plus grand malheur c’est que lorsqu’elle mourra, elle emportera une tonne de secrets dans sa tombe mais ce n’est pas pour demain, elle est robuste. Pourtant à force de la questionner, elle a enfin avoué une partie de l’histoire bien qu’elle dise sans cesse qu’il y a des secrets qu’il vaut mieux ne jamais connaitre.

Elle lui a raconté qu’il y a de cela de nombreuses années alors qu’Ali ne connaissait pas encore Claire, il avait dû partir en France pour terminer ses études, il avait rencontré sa mère, Marie car ils allaient dans le même lycée, elle avait alors seize ans et elle lui ressemblait. Leur histoire avait duré plus d’un an et Marie était tombée enceinte mais c’est à ce moment-là qu’Ali avait dû quitter la France ayant terminé ses études. Il avait alors rencontré Claire dont il était tombé follement amoureux, ils s’étaient mariés et il avait oublié Marie dont il ignorait la grossesse. Trois ans après il apprenait par un de leurs amis communs que Marie avait eu un enfant. Il avait  donc décidé de lui envoyer de l’argent mais entre-temps cette dernière avait accepté la demande en mariage de Pierre qui ne savait pas qu’elle était enceinte mais qui de toute façon l’aurait épousé tout de même car il en était très amoureux. Après la mort d’Ali, Claire découvrant toute l’histoire dans le testament d’Ali avait décidé d’écrire à Marie pour lui annoncer le décès d’Ali et elle lui avait envoyé des photos d’Omar et de Selma lui demandant en retour des photos d’Emeline et d’Ambroisine. La mère d’Ambroisine avait donc surement dans un tiroir ou une boite une photo d’Omar et de Selma tout petits.

Ambroisine avait été bouleversé par cette découverte, qu’Emeline soit la demi-sœur d’Omar expliquait la grande ressemblance entre eux.

Soudain une idée lui traverse l’esprit, une idée qui lui fait mal, peut-être que Claire ne l’a pas choisi par hasard comme elle le prétendait mais uniquement parce qu’elle est la demi-sœur d’Emeline et la fille de Marie, la femme qu’Ali avait aimé, ce n’était peut-être que pour faire du mal à sa mère. Ambroisine n’est pas stupide, elle a treize ans et elle sait  bien qu’on peut vouloir faire du mal à une autre femme par jalousie parce que celle-ci a été aimé, beaucoup aimée par celui que l’on chérissait plus que tout.