Réminiscence

La première fois que la mort est entrée dans ma vie je m'en souviens comme si c'était hier, j'avais 8 ans 3/4 presque 9 ce soir d'octobre 1981. Bien sur j'avais déjà perdu mon grand-père deux ans plus tôt mais je le connaissais à peine et l'année d'avant mon oncle était mort mais c'est la peine de ma mère qui m'avait surtout marqué.

Ce jour là de 1981, un samedi ou un dimanche je ne sais plus, est un jour que je ne pourrais jamais oublier. Il était tard, il faisait nuit quand on a entendu cogné à la porte du garage, mon père ou ma mère je ne me souviens plus lequel des deux, a été ouvrir et le père de ma meilleure amie est apparu dans le salon le visage ravagé de larmes, les yeux rouges. Je me souviens qu'il avait du mal à parler, les mots qu'il prononçait arrivaient à ma conscience mais que je ne réagissais pas. Ma meilleure amie depuis le cp avait été renversée par une voiture et elle était décédée à l'hopital peu de temps après. Je me souviens être restée prostrée sur ma chaise à l'angle de la cheminée éteinte, aucune larme n'est venue, rien, pas de réaction. Je ne saurais même pas dire combien de temps son père est resté.

Ensuite je me souviens du lundi à l'école, de certains qui pleuraient sans arrêt alors qu'ils la connaissaient à peine, de celles qui prétendaient qu'elle avait dit que si il lui arrivait quelque chose il lui donnait le commandement de la "bande". J'ai pensé "n'importe quoi." La bande c'était elle, moi, J et A, trois filles, un garçon, inséparables depuis le cp. Nous nous amusions cette année là et la précédente à prétendre soigner un arbre déjà mort dans la cour de récréation que nous appelions Nestor. La veille de son décès j'avais rêvé que Nestor était mort... c'est mon seul et unique rêve prémonitoire.

Ensuite, je me souviens de l'enterrement ou plutôt de la cérémonie à l'église car je ne suis pas allée au cimetière. L'école avait libéré les élèves, son père était instituteur de cm1, elle était dans sa classe cette année là. Là encore je n'ai pas beaucoup de souvenirs, je me souviens que je devais être gênée par une colonne pour bien voir mais que j'apercevais sa mère et c'est cette image qui m'a marqué, sa mère effondrée en larmes dans les bras de son père et son petit frère prostré à coté, il avait seulement 7 ans. Je n'ai pas pleuré non plus ce jour là.

Curieusement les larmes sont venus plusieurs années plus tard, il m'a fallu des années pour digérer cette perte, elle était ma meilleure amie, elle m'a manqué pendant mon adolescence, elle me manque encore parfois. La bande s'est séparée mais ce serait sans doute arrivée même si elle avait vécu car je suis partie au collège un an avant A et deux avant J qui a redoublé son cm2. A a ensuite déménagé et bien que nous ayons repris contact il y a quelques années nous n'avons plus rien en commun. J compte beaucoup pour moi, il reste au fond de mon coeur mon meilleur ami.

Les parents de mon amie avaient déjà perdu un garçon d'une longue maladie quatre ans plus tôt, je me suis souvent demandé comment ils avaient fait face à ces deux pertes, l'une prévue et l'autre brutale, ce que je sais c'est que je n'ai plus jamais mis les pieds chez eux ensuite, que son père m'évitait comme si je lui rappelais les âges que n'auraient jamais sa fille, je comprends. Ils ont eu une autre fille un an et demi après la mort de mon amie, cette enfant et le fils qu'ils leur restaient ont atteint l'age adulte, sont mariés, ont des enfants. 

Bien entendu, la mort est entrée dans ma vie d'autres fois ensuite mais c'est cette fois là qui m'a fait prendre conscience de la fragilité de la vie, de sa préciosité et il n'est pas un mois d'octobre (et de juillet car elle était née en juillet) où je ne pense encore à elle mais si cela fait 34 ans qu'elle nous as quitté.

Sur la photo, le petit frère de mon amie, J., elle avec le bonnet et moi en manteau à carreau.