Alexandrine - Treizième partie : L'adieu à Alexandrine - Chapitre 1

Alexandrine resserre son châle autour de ses frêles épaules. Elle frissonne. Ce n’est pas qu’il fasse vraiment froid mais les souvenirs qui remontent dans sa mémoire lui donnent des frissons.

Alexandrine regarde les arbres du jardin, le même jardin où ses parents l’ont regardé grandir, il y a si longtemps.

Dans quelques mois, Alexandrine aura cent ans et elle trouve cela un peu injuste car toutes ses amies d’enfance l’ont quitté comme Djamel l’a fait il y a près de trente ans.

Sébastien et Emilie sont partis les premiers il y a vingt ans à quelques mois d’intervalle.

Grégory a suivi victime d’une crise cardiaque puis Coralie, Arthur, Florence, Victor, Rebecca et Djemila qui vivait avec elle ainsi que le fils aîné de cette dernière Farid.

Le pire ce fut le décès de Thomas il y a quatorze ans, Alex s’était alors retrouvée à consoler Gaby qui pleurait comme un enfant. Omar a suivi il y a sept ans mais Marie ne s’est pas laissée abattre.

La chance d’Alex et elle en est bien consciente c’est d’avoir encore tous ses enfants, ils sont grands-pères et grands-mères voir arrière-grands-parents mais ils sont là et c’est ce qui compte pour une vieille dame comme elle.

« Maman » chuchote la voix d’Ilya derrière elle, « maman tu devrais rentrer il est tard et il fait frais, tu vas attraper du mal, ce serait dommage de rater tes cent ans, tu vas avoir droit à un hommage mondial. »

« Je m’en fiche Ilya » s’écrie Alexandrine d’une voix assurée, « un hommage mondial, à quoi cela va-t-il me servir ? Ce qui compte c’est la famille. »

« Tu n’arrêtes pas de le répéter. »

« C’est que plus on vieillit plus c’est une évidence, ma vie bien sûr ça a été l’ONC, j’en rêvais depuis l’enfance et je l’ai eu mais avant tout, ma vie ce sont mes enfants, le début de ma vie, c’est lorsque tu as poussé ton premier cri. »

« C’était il y a longtemps maman. »

« Je sais mon garçon. »

Alex s’est levée lentement mais sûrement et a pris le bras que lui tend Ilya.

Elle s’arrête sur le seuil de la maison et le contemple dans la lumière.

« Tu ressembles tant à ton père. »

« Je sais maman, tu le dis si souvent. »

« Je n’y peux rien, tu me fais penser à lui. »

Ilya sourit.

« Tu penses souvent à lui ? » 

« De plus en plus, je l’aime si fort Ilya. »

« Je sais maman, si Evguenia meurt avant moi je serais sans doute désespéré. »

Alex approuve d’un signe de tête.

Dans le salon, Evguenia est assise dans un fauteuil, ses yeux perdus dans le vague.

« A quoi penses-tu Evguenia ? » questionne Alex.

« Ce sont vos cent ans qui me retournent, beaucoup d’évènements me reviennent en mémoire, ma jeunesse et je me sens encore plus vieille. »

« Que dirais-tu si tu avais mon âge ? » plaisante Alex.

Evguenia rit de bon cœur. Voilà plus de dix ans qu’Ilya et Evguenia partagent la vie d’Alex ainsi que Gaby depuis que Thomas est décédé.

Il apparaît d’ailleurs sur le seuil de la pièce.

« On dirait qu’on s’amuse bien ici » s’écrie-t-il.

Alex lui sourit.

« Des plaisanteries de vieux mon garçon, tu es trop jeune pour comprendre. »

Ilya rit.

« Tu n’as pas encore quatre-vingt ans, Gaby. »

« Mais c’est un clan » plaisante Gabriel, « j’étais en train de chercher des photos pour tes cent ans, maman. »

« Des photos ? »

« Tu sais bien, Elijah t’en a parlé, il veut faire un hommage en rappelant ta vie et il lui faut des photos, je pensais y mettre celle-ci regarde. »

Alex regarde la photo et sourit.

« Ce n’est pas moi sur cette photo, regarde c’est un tirage en noir et blanc très ancien, c’est mon arrière-grand-mère Liouba, la mère d’Olga. »

« Tu es sure maman ? »

« Oui c’est Svetlana la cousine d’Olga qui me l’a donné et tu étais là, tu devais avoir dix ans. »

« Je me souviens » s’écrie Ilya.

« Elijah peut quand même l’utiliser, une photo de la dynastie par les femmes, Liouba, Olga, Caroline puis toi. »

« Si tu veux et ensuite des photos de mes amants successifs et de mes enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants » plaisante Alexandrine.

« C’est à peu près ce qu’a prévu Elijah, un portrait par photographies interposées, un discours sur ton œuvre, le rappel des faits marquants de celle-ci et des lois importantes édictées lors de ta présidence avec le rappel de la crise antérieure puis la succession de Zachia et de Xénia, Elijah veut éviter de parler de lui et il veut faire témoigner le plus de gens possible. »

« Il ne trouvera plus de témoin de mon enfance, ils sont tous morts même mes amis de l’ENA sont tous partis. »

« Il sait, il veut faire témoigner tes enfants, tes petits-enfants, les enfants de tes amis enfin ceux que nous pourrons retrouver parce qu’il est vrai qu’à part quelques-uns nous les avons tous perdus de vue et c’est un peu normal. »

« Elijah a d’ambitieux projets pour moi. »

« Il t’aime et il t’admire. »

« Moi aussi je l’aime et je l’admire pour ce qu’il essaie de construire, un royaume de Dieu sur terre, c’est un fou incroyablement bon que ce jeune Elijah. »

« Il est comme tu nous as élevé maman puisqu’il est mon petit-fils » s’écrie Ilya.

« Je sais et doublement lié à moi comme ses fils le sont triplement puisqu’il a épousé Nour. »

« Epouser c’est un bien grand mot maman. »

« Je n’ai jamais épousé ton père mais c’était pareil, je me considérais comme sa femme. »

Ilya sourit, Gabriel poursuit son idée.

« Regarde ces photos maman, lesquelles veut-tu que l’on prenne ? »

« Je ne sais pas, choisis avec tes frères et sœurs celles qui sont les mieux, je ne serais pas très objective dans mes choix. »

Ilya acquiesce.

« Je vais regarder ces photos, je vais en choisir, tu en choisis, nous demandons l’avis de Viatchi, de Marie, de Camille et de Zachia puis nous confronterons nos choix, nous avons encore quatre mois pour y réfléchir. »

« Tu as toujours été le plus sage d’entre nous, Ilya » s’écrie Gaby.

« Ne redis plus jamais ce genre de bêtises, nous sommes de valeur égale et depuis toujours, je suis juste né trois ans avant toi. »

Ils se sourient complices, Alexandrine échange un regard de connivence avec Evguenia.

La vie est douce ici.